Les légendes du Sundgau

 


Glickere Wiewla

 

Il y a longtemps de cela, un homme se promenait en forêt, sur un chemin conduisant à l'église Saint-Léger. Tout à coup, il entend chanter derrière une haie et voit alors une forme resplendissante, une belle jeune fille, tout de blanc vêtue. Paralysé par la peur, il veut se sauver, mais est incapable de faire un seul pas. Le beau visage s'anime alors, esquisse un sourire engageant et il s'entend appeler d'une voix douce :

"Cher ami, n'ayez aucune crainte, il ne vous arrivera rien, je devais me taire jusqu'à ce jour et me cacher, mais aujourd'hui, j'ai le droit de me faire voir et de vous dire ma détresse.
- Qui es-tu ? demande l'homme, et que me veux-tu ? Je ne suis qu'un pauvre bougre paralysé à ta vue.

- Je suis une pauvre âme errante, j'ai été la victime des Suédois qui ont détruit mon village et qui ont martyrisé jusqu'à la mort tous ses habitants. Je porte sur moi tous les péchés de notre village afin que mes frères puissent reposer en paix. C'est pourquoi je ne peux trouver le salut qui me permettrait d'accéder au ciel. Je peux utiliser une faveur toutefois, celle de me montrer de temps à autre aux vivants pour implorer leur secours.
Ainsi, je vous ai rencontré aujourd'hui et je vous supplie de tout mon coeur de m'aider à trouver le chemin du ciel. Si je ne suis pas écoutée de vous aujourd'hui, on ne se verra pas de sitôt sur terre et je devrai alors retourner en ce lieu où il fait toujours sombre et froid. Mon exil durera jusqu'au jour où le père fabriquera un berceau en bois de tilleul de la forêt ; son enfant dira ses premiers mots à ses parents en souriant à l'aise dans ce berceau. Ce garçon grandira auprès de ses parents, aura une grande piété filiale et ne connaîtra jamais de femme. Quand il aura 33 ans, je le verrai près de la chapelle, il écoutera mes prières avec bienveillance et sera mon sauveur. Je lui donnerai ma fortune et pourrai alors entrer au Royaume des Cieux. Mais je dois attendre si longtemps avant que cela ne se réalise ! C'est pourquoi, j'ai pris forme humaine et suis venue au-devant de vous pour vous supplier de m'entendre. Vous pouvez facilement me délivrer et, en retour, je vous enrichirai. Tout l'or que vous voudrez pour vos enfants, je vous le donnerai. Venez ! Je vais vous conduire en un lieu connu de moi seule. Ne redoutez rien, simplement, ne prononcez aucune parole tout au long du chemin."

La belle jeune fille devance son compagnon en le tenant par la main. Ils se trouvent soudain devant un portail de fer qui s'ouvre tout seul sans bruit, puis devant un autre portail de chêne avec un grand marteau. La jeune fille sollicite cette la permission d'entrer en chantant une belle chanson. Tous deux descendent un escalier en colimaçon et accèdent enfin à une grande cave. Le long des parois sont alignées des caisses et des caisses, et sur chacune d'elle est assis un animal hideux. Les monstres sifflent, crachent le feu, la jeune fille se dirige alors vivement vers la première caisse ; un crapaud, crachant le feu, en renverse le contenu à terre. L'homme n'en croit pas ses yeux, la caisse est pleine d'or, d'argent, de bijoux et de pièces de monnaie de toutes tailles.

La jeune fille prend alors la parole :
- Je vous ai dévoilé un secret, voulez-vous me délivrer en retour ? Regardez, toutes les caisses sont également pleines, et vous n'aurez pas besoin de tout emporter avec vous. Prenez simplement quelques poignées d'or et tout le reste vous sera bientôt livré sur un char attelé de dix chevaux. Si vous prenez à présent une seule pièce de monnaie, je serai délivrée. Toutefois, je dois vous avertir de ceci : par le saint nom de Dieu, vous devrez mourir dans les trois jours qui viennent. Mais votre âme ne sera pas perdue, vous serez près du trône de Dieu jusqu'à la fin des temps.

A ces mots, l'homme épouvanté s'enfuit et cherche son salut au-dehors. Il a oublié toutes ces richesses et il n'entend plus que les cris pitoyables de la jeune fille. Alentour, l'orage se déchaîne, les éclairs fusent, le tonnerre gronde. Il lui semble que la terre entière s'effondre, partout ce ne sont que feux et flammes. Complètement désorienté, il s'affaisse épuisé et perd connaissance.
Il reprend peu à peu ses esprits, incapable de savoir s'il était resté là, étendu sans connaissance cinq minutes ou plus d'une heure. Il parvient à se lever et voit au loin briller le clocher. Il n'est pas très loin de chez lui. Arrivé dans sa chaumière, il conte son aventure à sa femme qui ne croit pas un traître mot de son histoire et se moque de lui. Le lendemain, à la taverne du village, ce furent les mêmes moqueries qui accueillirent son récit. Et plus tard, quand pour le taquiner, on lui demandait le chemin de la chapelle Saint-Léger (Glicker Kicherla), il répondait infailliblement :
"Je ne sais pas, jamais plus je n'irai là-bas. J'en ai assez de la "Glickere Wiewla" !


(Informateur anonyme de la région sud d'Altkirch)