Les légendes du Sundgau

 


Les Erdwibles (Sundgau)

 

Une Erdwible, cachée derrière une croix de calvaire, guette des enfants qui passent : une fillette de onze ans, la plus sage de l'endroit, s'agenouille et prie. L'Erdwible se montre : "Petite fille, vas-tu au catéchisme ?"
- Oui Madame.
- Sais-tu bien tes leçons ?
- Oui Madame.
- Eh bien ! Viens avec moi, je vais te récompenser.

L'enfant suit sa conductrice : on passe dans les bois, sur les rochers, par des sentiers inconnus qui semblent impénétrables et dont les ronces s'écartent d'elles-mêmes. On arrive dans une sapinière très sombre où quantité de champignons sortent de terre.
La petite femme se blottit sous l'un d'eux, tire de sa poche l'amadou et les pierres, bat le briquet (si vite et si menu que cela ressemble au cricri du grillon), allume sa petite lanterne de cristal ... et souffle sur un trou de taupe qui s'agrandit, laissant voir à la fillette un escalier de marbre en colimaçon.
"Prends la rampe, petite, et descends doucement, tu pourrais glisser ... Mon marbre est très brillant, je le frotte tous les jours."
La fillette descend, arrive dans une grotte tapissée de miettes de diamant, joint les mains et soupire d'admiration.
"N'est-ce pas que c'est beau chez moi ? Maintenant, que veux-tu boire et manger ? Du gâteau de miel et du sirop de framboise ou du vin et du fricot ?
- Plutôt du gâteau, Madame, et du sirop de framboise.
- Tu as raison, bois et mange, petite, et que cela te fasse plaisir !"
Et elle lui présente le sirop rouge dans une timbale d'argent, et le gâteau sur une assiette de turquoise.

Quand la petite est rassasiée, elle lui fait cadeau d'un collier d'or, puis la regarde, anxieuse : "Petite, dis-moi, crois-tu que je serai damnée après le grand jugement, toi qui sais si bien ton catéchisme ?
- Tous ceux qui n'ont pas cru en la toute-puissance de Dieu et la Sainte Trinité seront damnés !"
La pauvre Erdwible se met à pleurer amèrement, jetant des cris qui retentissent sous la voûte.

Tout à coup l'enfant se trouve transportée au village, sans qu'elle sache comment cela s'est fait ; elle court tout raconter à sa mère et celle-ci lui dit qu'elle a eu tort de désoler la petite femme, qu'il faut aller la consoler, lui apprendre que sa longue expiation la préserve de la damnation éternelle.
Ainsi fait l'enfant : elle court un jour et une nuit, retrouve enfin la demeure de la petite femme. Celle-ci pleure et hurle toujours, sa robe est toute trempée de larmes.
"Madame, ma bonne petite dame, je m'étais trompée : notre Sauveur est aussi le vôtre : après le jugement dernier, votre expiation cessera !"
Et la petite femme, soudain joyeuse, se met à rire et à danser en chantant si doucement, que jamais on n'entendit musique aussi suave.

Autrefois, du temps où tout était mieux et les hommes meilleurs, les Erdwibles du Sundgau étaient très serviables : un orage se préparait-il la nuit, elles finissaient de faucher le blé, le liaient en gerbes ; volontiers, en soufflant dessus, elles séchaient en une minute le linge des pauvres lavandières ; parfois, en temps de sécheresse, elles arrosaient les jardins ; quand les paysannes étaient aux champs et que leurs petits enfants pleuraient, vite elles couraient les bercer et leur chantaient de si douces chansons qu'ils se rendormaient, le sourire aux lèvres ..., alors elles les contemplaient, ravies jusqu'à l'heure du retour de la mère, et, avant de se sauver, elles poussaient quelquefois la complaisance jusqu'à allumer le feu du souper.

Voilà comment on raconte la disparition des Elfes de la Heideflüh de Ferrette :
Oui, ils étaient bons, serviables, les tout petits : toujours marchant par couples, en se donnant la main, comme prêts à danser la pavane, richement vêtus, et si beaux de visage qu'on avait les yeux éblouis en les regardant. Pourtant, jamais on n'avait vu leurs pieds, les femmes portant robes si longues, les hommes brodequins si épais, qu'on n'en pouvait deviner la forme, et d'aucuns parlaient de pieds fourchus comme ceux de Satan ... De malignes filles de Ferrette voulurent savoir à quoi s'en tenir : aux alentours de la vielle Gorge-aux-Bruyères où chaque matin les petits elfes venaient, non chaussés, boire la rosée dans les corolles tremblantes, elles semèrent du sable fin, puis allèrent se cacher derrière les buissons.
La mystérieuse procession arriva bientôt, et peu après, des rires grossiers s'élevèrent ... Les pauvres gnomes avaient laissé sur le sable l'empreinte de leurs pattes d'oies et de leurs pieds de chèvres.
Les Erdwibles jetèrent un regard plein de tristesse du côté des curieuses filles d'Eve, puis s'enfuirent pour toujours.

(Légende presque identique à celles des nains de la Gorge aux Loups)