Traditions et coutumes du Sundgau

 

Magie et sorcellerie

Il faut se représenter quelque chose que nous avons un peu oublié : la nuit, la vraie nuit, sans éclairage public, sans phares de voiture, sans torches électriques, la nuit où la lumière ne peut venir que de la lune ou de lanternes peu violentes. C'était cela, la nuit campagnarde de la fin du 19e siècle et début du 20e. Il n'est donc pas surprenant que les êtres fantastiques créés par l'imagination des générations précédentes aient continué de hanter les esprits, surtout lorsqu'on en avait longuement parlé dans la chaude ambiance de la veillée.

 

Les ombres de la nuit

Ils étaient nombreux, les êtres qui peuplaient les heures sombres. Certains ne manifestaient aucune méchanceté et aidaient volontiers les humains, tels les lutins qui achevaient le travail de la pauvre fileuse endormie. Mais, en général, on redoutait les créatures que la nuit enfantait et qui pouvaient pénétrer dans les maisons, s'asseyaient sur la poitrine des dormeurs, surtout celle des petits enfants, leur suscitant de terribles cauchemars et les tourmentant parfois jusqu'à l'étouffement. Pour s'en protéger, on accrochait une médaille bénite dans le lit de l'enfant.

La tranquilité du logis était également menacée par toutes sortes d'esprits, dont les plus connus étaient sans doute les Poltergeister, les esprits frappeurs. Dans l'ensemble, il s'agissait d'anciens habitants de la maison dont l'âme ne trouvait pas le repos parce qu'ils avaient mal agi et qui troublaient par des bruits divers le sommeil de leurs successeurs. Seule une procession à travers toute la demeure pouvait chasser les indésirables.

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Les sorcières

Si on était exposé à se voir ainsi importuné chez soi, combien plus de risques courait-on à l'extérieur ! Les mauvaises rencontres n'étaient pas considérées comme des éventualités rares.
Le Diable en personne n'hésitait pas à guetter les imprudents qui se hasardaient dehors la nuit. En outre, il disposait d'alliés redoutables pour nuire aux hommes : non seulement les êtres fantastiques, spectres ou mauvais esprits, mais encore des personnages très concrets mêlés à la vie quotidienne, d'autant plus redoutables qu'on ignorait souvent leur caractère diabolique, à savoir les sorciers, plus souvent peut-être les sorcières.

Le Diable les réunissait pour le sabbat et c'est de là que ces odieuses créatures répandaient leurs maléfices sur la région. Quand les sorcières rentraient chez elles, montées sur leur bouc ou sur leur balai, avant le chant du coq ou avant l'Angélus du matin, elles emportaient de quoi poursuivre à domicile leur oeuvre exécrable. Il était très important de les démasquer, car on se mettait ainsi à l'abri de leurs sortilèges.


La mort de quelques bêtes, la maladie d'un enfant, l'accident survenu au chef de famille, voilà trois événements où un esprit médical ou scientifique ne relèvera que malchance ou coïncidence. Il n'en est pas de même dans le Sundgau où le Sundgauvien traditionnel trouve un dénominateur commun évident : le Mal et celui, ou plus souvent celle qui le fait. La maladie s'interprète souvent comme la conséquence d'un mauvais sort. Si dans les villes, les sorcières ne sont qu'histoire ancienne, elles gardent une surprenante vitalité dans notre région. Le Docteur Kaszuk a écrit à ce sujet un livre très intéressant.

Voici deux anecdotes destinées à illustrer la permanence du rôle de la sorcellerie dans le Sundgau :
Une petite fille fait des chutes fréquentes depuis qu'elle a accepté une poupée, cadeau d'une femme du village : les escaliers s'avèrent particulièrement dangereux. On consulte alors une personne versée dans les mystères de la sorcellerie qui conseille de brûler la poupée, accomplissant ainsi le sacrifice symbolique de la sorcière. Après quelques hésitations et devant de nouvelles chutes, on brûle le jouet et, de ce jour, plus aucune chute ; l'auteur du sortilège ne visitera plus non plus la maison où elle avait fait pénétrer le mal.

Une femme d'une quarantaine d'années est victime depuis quelques mois d'altération de l'état général, d'états dépressifs et de divers autres troubles que les médecins consultés ne savent pas résoudre. En désespoir de cause on consulte un mage renommé et éloigné. Après plusieurs voyages en Franche-Comté, un chat de la maison meurt, conformément aux prévisions de l'exorciste. La malade suit aussi le conseil de ne plus rencontrer l'une de ses connaissances qui lui rend pourtant régulièrement visite. La guérison ne tarde pas mais l'exorciste manque de mourir tant le charme est puissant.

 

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Conjurer le mauvais sort

(Certaines sont encore actuelles !)
- La protection des enfants est très importante : le sel qu'on lui donne au baptême le protège contre les sorcières, comme le fait de retourner les balais et d'y poser trois grains de sel qui symbolisent la Trinité.
- Accrochée à la taie d'oreiller du nourrisson (dans le berceau et dans le landau), une médaille bénite d'un saint protègera le bébé. (J'ai pratiqué cette coutume lors de la naissance de mes deux enfants, sur les conseils apeurés et incessants de ma grand-mère, ma mère et ma tante !)
- Une paire de ciseaux ouverts, disposé sous le matelas protège le nourrisson (!!)
- A l'angélus, il faut rentrer les layettes qui sèchent à l'extérieur, pour éviter que les sorcières ne puissent s'en servir pour ensorceler l'enfant.

 

Le "Geistliche Schild"

Tout le monde, un jour ou l'autre, a entendu ce mot. Réputé pour être le livre des sorciers, voici de plus amples informations.
Auxiliaire particulièrement précieux du sorcier ou du paysan, le Geistliche Schild est un petit livre de format souvent réduit (5 cm sur 10). Son possesseur est investi de pouvoirs magiques intenses qui sont obtenus après que l'ouvrage ait été béni, à son insu, par un prêtre lors d'un office. On pouvait se procurer l'ouvrage auprès de colporteurs et ceci jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Geistliche Schild

Geistliche Schild signifie littéralement bouclier spirituel et c'est bien là son usage premier. Son détenteur est protégé contre les maléfices des sorciers et y trouve quelques recettes destinées à combattre les maladies. On y trouve également des citations de l'Ecriture, des prières à la Vierge, à certains saints ainsi que le mode d'utilisation du Pfennig de Saint Benoît utilisé à Mariastein.

Il est très difficile d'en consulter un, car les possesseurs de cet ouvrage n'en parlent jamais. Ils sont obligés de s'en servir, sinon la puissance du livre se retournerait contre eux. Ils ne sont pas forcément des sorciers mais une fois que le livre a été utilisé à des fins nuisibles, il ne peut plus servir qu'à cela.


On dit que le détenteur du Geistliche Schild ne peut mourir sans l'avoir transmis, ce qui pose évidemment un problème. On cite des cas d'agonies particulièrement longues ! (En janvier 2009, sur le site de eBay Autriche, l'enchère d'un exemplaire de ce livre atteignait 45€ pour une mise à prix de départ d'un euro. Encore un qui désire mourir en paix...)

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